Notre pays a eu le courage de se doter en matière de prostitution de la législation la plus ambitieuse au monde pour les femmes et pour l’égalité. Si nous avons toutes les clés en main, manquent encore la volonté et les moyens. Il est urgent d’agir avec une stratégie claire et volontariste, pour aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite.
La loi du 13 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel a révolutionné la façon dont notre société considère la prostitution : dépénalisation des personnes prostituées qui ne sont plus délinquantes et aide à l’insertion, interdiction de l’achat d’actes sexuels, renforcement de l’action contre les réseaux de proxénétisme et de traite, prévention. L’objectif : diminuer le nombre de victimes de cette violence sexiste et sexuelle, et contribuer à ce que la honte change de camp.
Huit ans après ce vote, il est positif de noter qu’un peu plus d’un millier de personnes ont pu quitter la prostitution avec le soutien de l’Etat et des associations et que plus de 8000 hommes « clients » prostitueurs ont été pénalisés. Mais ces chiffres sont beaucoup trop faibles, et les défauts de mise en œuvre de la loi ne lui permettent pas de produire tous ses effets.
Depuis plus d’un an, le gouvernement exprime la volonté de mieux faire appliquer la loi et prépare une stratégie interministérielle de lutte contre le système prostitutionnel. La Ministre de l’égalité entre les femmes et les hommes Aurore Bergé s’est montrée déterminée à ce que cela soit effectif rapidement.
Nous nous en réjouissons, et ne pouvons que manifester notre impatience, car il y a urgence ! Faute d’une application résolue de la loi, nous constatons sur le terrain une augmentation du nombre de mineur·es en situation de prostitution et un soutien largement insuffisant pour les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution.
L’objectif de la France doit être clair pour tout le monde: diminuer le nombre de victimes de la prostitution. Et c’est possible si on se donne les moyens d’aider les victimes, de pénaliser les agresseurs (proxénètes et clients) et d’agir en prévention.
Nos recommandations sont connues (voir le rapport FACT-S). Nous les rappelons depuis près de quatre ans. Et les personnes ayant connu la prostitution parlent (notamment dans le nouveau podcast La vie en rouge)! Elles disent les causes et les conséquences de la prostitution, elles expliquent la violence insoutenable d’être contrainte à des actes sexuels non désirés, quel soit leur âge, quelle que soit leur origine.
D’autres ayant pu s’extraire de la violence prostitutionnelle grâce aux dispositifs prévus par la loi de 2016 témoignent de manière tellement positive que celle-ci fonctionne quand elle est appliquée. Alors écoutons-les, et agissons !
Trois affaires, à quelques jours d'intervalle, ont mis en lumière des « clients » condamnés ou en attente de procès. L'impunité n'a plus cours chez les agresseurs. Verbalisés par téléphone, en direct sur les lieux de prostitution, en train de solliciter dans la rue ou par sms... Et pas seulement à Paris : Herblay, Castres, Argentan... Police, tribunal, audiences... La peur en passe de changer de camp ? « Je ne m'y attendais pas »... Des hommes, rien que des hommes. En couple ou mariés pour la plupart. N'ayant jamais eu maille à partir avec la justice. Les excuses sont toutes trouvées. Fabriquées à la volée pour justifier l'injustifiable. Ça plaisante encore, jusque dans la salle d'audience, mais la justice cette fois reste ferme et insiste sur les condamnations : amendes, stage, courrier au domicile. Et quand il s'agit d'une mineure de 12 ans, on ne parle plus d'amende, ni de « mesure alternative », mais d'une affaire criminelle.
Herblay 1
6 hommes âgés de 24 à 35 ans, nous dit Le Parisien … la victime : 12 ans. Difficile de soutenir qu’ils ne savaient pas qu’elle était mineure. Ils risquent jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Devant la gravité des faits, Le Parquet de Pontoise a décidé de poursuivre. « Ils sont repérés et identifiés, puis placés en garde à vue ce mercredi 24 janvier au matin avant d’être déférés sur décision du parquet de Pontoise en comparution immédiate ». Aujourd’hui, en attente de leur procès, ils doivent aller pointer au commissariat et ne pas rentrer en contact avec la victime. En guise de facilitateurs de cette exploitation, deux hôtels d’Herblay concernés dans lesquels se sont déroulés les faits, et le site sexemodel qui a servi à ces prostitueurs à entrer en contact avec leur victime. Ça fait déjà beaucoup de circonstances aggravantes au regard du code pénal.
Castres 2
Une vingtaine d’hommes concernés, âgés de 20 à 68 ans … Pour la plupart mariés et père de famille. Bilan des sanctions : des amendes de 300 à 700 euros assorties d’un « stage » de responsabilisation. L’habituelle foire aux excuses a été convoquée lors de l’audience au tribunal de police : « ma femme est ménopausée », « ma compagne m’a trompée », « je ne savais pas que c’était interdit de leur téléphoner »… En attendant, des courriers ont été envoyés à leur domicile pour la convocation au « stage ». Histoire de ne pas laisser trop vite la place à l’oubli… Derrière ces violences sexuelles, un réseau de jeunes femmes originaires d’Amérique Latine. Autrement dit, une organisation tierce qui a permis leur venue et leur exploitation…
Argentan 3
Un homme de 43 ans condamné à effectuer un « stage ». La victime, une nouvelle fois mineure, 17 ans. L’excuse toute trouvée : « je ne savais pas ». Le condamné les faisait venir chez lui. Livrées à domicile. Par le proxénète. Comme des pizzas ? A la barre du tribunal d’Argentan, l’individu a reconnu tous les faits, sauf la connaissance de l’âge de la victime. Et une bonne inscription au casier au cas où l’envie de récidiver lui viendrait ?
Même si la Fondation Scelles aurait souhaité des peines plus sévères, considérant la gravité des violences perpétrées et leurs conséquences, nous nous félicitons des actions concrètes de la mise en œuvre de la pénalisation des « clients » prostitueurs que la loi 2016-444 rend responsables de la perpétuation d’un système d’exploitation qui touche d’abord les femmes et les filles. La fin d’un monde peut-être, ou le commencement de la fin pour ces hommes qui se croient à l’abri en passant par internet, au-dessus des lois, innocents. Mais bizarrement, quand on leur demande de se mettre à la place de leur compagne et d’imaginer, un instant, que cette dernière soit condamnée, elle aussi, pour un achat d’actes sexuels, ils ne l’envisagent pas : « ce n’est pas possible », « je la quitte », « je la tue », « les femmes n’ont pas les mêmes besoins que nous »… Il reste encore beaucoup de travail… et beaucoup de place pour les sanctions qui viendront assécher les réseaux de traite et de proxénétisme et tous ceux qui profitent de cette exploitation, « clients » compris.
1. https://www.leparisien.fr/faits-divers/expert-comptable-ambulancier-les-clients-dune-prostituee-de-12-ans-interpelles-a-herblay-25-01-2024-MC3S466I7ZAHXK5NUA2ZKGCVYY.php?xtor=AD-366
2. https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/ma-femme-etait-menopausee-javais-besoin-de-chaleur-humaine-ma-compagne-mavait-trompe-des-clients-de-prostituees-juges-devant-le-tribunal-de-police-de-castres-11722558.php
3. https://actu.fr/normandie/argentan_61006/il-payait-600-e-des-prostituees-meme-mineures-un-habitant-dargentan-condamne_60655120.html
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