Il y a des paroles que l’on n’entend presque jamais. Des histoires trop souvent tues, effacées, ignorées. Avec sa saison 2, le podcast La Vie en Rouge choisit d’écouter celles et ceux qui ont vécu la prostitution, en leur donnant enfin toute la place. Il s’inscrit dans une démarche abolitionniste, initiée par le Mouvement du Nid.
Cette saison 2, c’est 12 survivant.e.s : onze femmes et un homme. C’est 12 témoignages, 12 histoires, 12 dignités bafouées, mais 1 seule posture : celle de victime. Victime d’un système qui exploite, d’une société qui regarde ailleurs, de violences souvent multiples et toujours marquées du sceau du silence.
Avec courage, pudeur et une immense sincérité, elles-ils racontent leurs parcours, les violences subies, les blessures invisibles mais aussi les chemins de reconstruction, de résistance, de vie.
La semaine dernière, lors de la soirée de lancement de la saison 2, l’émotion était à son comble. Dans une salle attentive et respectueuse, un large public était venu écouter, soutenir et échanger autour de ces témoignages précieux. Ce moment fort a permis de découvrir en avant-première un extrait du podcast, suivi d’une table ronde réunissant plusieurs témoignant·e·s et membres de l’équipe de production.
Les douze survivant.e.s présent.e.s, aux parcours très variés, certaines venant tout juste d’être mamans, portaient en elles à la fois la force du passé et l’espoir d’un avenir nouveau.
Assis.e.s côte à côte, elles-ils partageaient une expérience commune, souvent indicible, marquée par des violences et des douleurs profondes. Malgré leurs différences de vies et de langues, la force et la sincérité de leur parole ont transcendé toutes les barrières.
Chacun.e a pris la parole avec une sincérité bouleversante, dévoilant le poids des silences brisés. Ils ont revisité avec courage ces expériences souvent horribles, douloureuses à évoquer. Leur parole a permis au public de mesurer l’ampleur des souffrances vécues, mais aussi la puissance de la résilience.
« Ça a eu l’effet d’une thérapie », ont-elles-ils confié, exprimant à quel point cet exercice avait été difficile mais profondément libérateur.
Rosen Hicher, survivante et militante depuis de longues années, a avancé « Jamais je n’aurais cru qu’une saison 2 verrait le jour, et qu’autant de personnes seraient présentes pour nous écouter ».
Ces mots simples, entendus ce soir-là, résument la force de cette saison : celle de la parole rendue à celles et ceux qu’on a trop longtemps fait taire.
Chaque épisode est une plongée dans l’intime. Sans mise en scène, La Vie en Rouge donne à entendre ce que signifie vivre la prostitution : la violence, l’isolement, mais aussi la lumière qui revient, parfois lentement. Ambre est la première à témoigner. Durant une vingtaine de minutes, elle raconte avec justesse et force ce qu’est réellement la prostitution, loin des fantasmes et des clichés. Elle parle de l’emprise, du déni, de la dissociation. De cette sensation de devenir un objet, d'effacer ses émotions pour survivre. Mais aussi de ce moment, fragile et déterminant, où naît la conscience que l’on mérite mieux. Que ce qu’on a vécu n’est pas normal, ni acceptable.
Son récit, lucide et poignant, ouvre cette saison comme une porte vers la vérité nue. Une vérité que l’on ne pourra plus ignorer une fois qu’on l’a entendue.
Ces témoignages, livrés avec une dignité bouleversante, touchent autant qu’ils éclairent. Ils bousculent, interpellent, font grandir. Ils rappellent que derrière chaque chiffre, chaque débat, chaque opinion, il y a des vies. Et que ces vies méritent d’être vues, écoutées, reconnues.
>>> La saison 2 est disponible sur toutes les plateformes de podcast — Parce qu’écouter, c’est déjà s’engager.
Par Servane Berthelot
Après le succès de sa première pièce, Les Survivantes, interrompue en raison du COVID, Isabelle Linnartz réécrit pour la scène Macadam, une œuvre qui raconte le parcours de femmes en situation de prostitution. L’écriture dramatique s’appuie sur des témoignages recueillis par le Mouvement du Nid, conférant à cette lecture une authenticité frappante. Les dialogues, souvent crus, retranscrivent la violence psychologique et physique vécue par les protagonistes, tout en laissant transparaître leur humanité et leur espoir de s'en sortir. Ces échanges donnent une voix à ces femmes, souvent invisibilisées dans la société, explorant leurs histoires personnelles, leurs traumatismes et la manière dont elles s'entraident dans un environnement souvent brutal.
Alors que la pièce s’ouvre sur un extrait du podcast La vie en rouge, nous découvrons ensuite progressivement les cinq femmes protagonistes de l’histoire : Ninja, Blondie, Eva, Cheyenne et Roxane. Nous suivons sur une trentaine de jours leur évolution, exploitées sur une aire d’autoroute par leur proxénète Jock, non loin de la frontière belge. Violences, domination et insultes sont leur quotidien. Nous retrouvons par exemple dans l’une des scènes, Cheyenne, les mains ensanglantées après s’être défendue contre un « client » prostitueur violent, qui l’a frappée et insultée de « négresse », « salope », « pute », avant de prendre la fuite sans payer.
Ces hommes, qui réduisent alors les filles à de vulgaires objets sexuels, disponibles pour répondre à leurs moindres désirs, les klaxonnent avec insistance, comme s’ils réclamaient leur dû. Contrairement à l’imaginaire collectif qui prône que ces clients seraient issus de la catégorie populaire, nous retrouvons des profils et des professions des classes supérieures : des juges, des ministres ou encore des policiers, célibataires, mariés ou pères de famille. Comme l’affirme l’une d’entre elles « plus ils sont puissants, plus ils sont violents ». Dans l’une des scènes, Eva revient après avoir vu un « flic » dans sa voiture et raconte : « je ne devais pas toucher à sa cravate car c’était sa femme qui lui avait fait. Alors, il s’est mis à pleurer parce que malgré tout, il l’aime sa femme, seulement, elle ne répond plus suffisamment à ses désirs sexuels ». Cette réplique met en lumière la façon dont la personne en situation de prostitution est réduite à un instrument destiné à assouvir les frustrations sexuelles des clients, qui ignorent totalement son humanité. Lorsque c'est un policier qui se rend auprès d’une personne en situation de prostitution, cela accentue l'abus de pouvoir et l’hypocrisie du système.
La dimension de la sororité est très présente dans la pièce. En dépit de leurs différences sociales, culturelles et personnelles, ces femmes, non sans humour, se comprennent et offrent à chacune une forme de soutien indéfectible. Le moment où Eva se retrouve en danger, après avoir accidentellement tué un « client » prostitueur, en est un exemple marquant. Plutôt que de se laisser submerger par la peur ou l'indifférence, les autres femmes s'unissent pour l’aider à se sortir de cette situation. Elles mettent de côté leurs propres préoccupations pour s’occuper de découper et cacher le corps. Ce geste de solidarité va au-delà de la simple entraide : il incarne une forme de fraternité qui défie l’isolement auquel ces femmes sont souvent confrontées. Elles se soutiennent non seulement pour leur survie, mais aussi pour préserver leur dignité et leur humanité dans un contexte qui tend à les reléguer au second plan.
Tour à tour, elles abordent comment elles se sont retrouvées dans la prostitution et démontrent comment les événements passés façonnent leur présent. Victimes de réseaux de traite, d’un père incestueux, d’inégalités sociales et de pauvreté, ces femmes se retrouvent emprisonnées dans un engrenage de violence et d’argent. Roxane était cheffe d’entreprise avant d’être licenciée et de devenir escort, jusqu’au jour où, après avoir été droguée, elle s’est réveillée attachée à un radiateur et prostituée de force. Eva est originaire d'Ukraine et, alors que la guerre éclatait, elle a été enlevée, se retrouvant à l'arrière d'un camion avec d'autres jeunes filles. À leur arrivée à la frontière franco-belge, ses amies ont été abattues en tentant de fuir. Eva a été forcée de les enterrer, instaurant un climat de peur et de traumatisme qui ne peut que marquer durablement. Quant à Ninja, son père l’a violée de ses 6 à 8 ans, avant de la vendre à d’autres hommes.
Confrontées à ces violences physiques et psychologiques, elles se réfugient dans l’alcool ou la drogue, de manière à se dissocier de leur réalité quotidienne. Seule Blondie ne reconnaît pas son addiction. Ces substances servent alors d’échappatoire temporaire face à la souffrance et au stress générés par leur situation de prostitution. Elles cherchent à anesthésier leur douleur intérieure, à apaiser les tensions émotionnelles et à se couper de la dureté de leur environnement. L'alcool et la drogue agissent comme des mirages de survie, permettant de maintenir une forme de distance avec les expériences traumatiques et de se protéger émotionnellement.
Nous découvrons également le fonctionnement d’un système hiérarchisé : si c’est Jock qui en est à la tête, Ninja a un ascendant sur les autres filles et les pousse à voir un plus grand nombre de clients pour augmenter leurs gains et exerce une certaine pression sur elles pour qu'elles respectent les quotas imposés par Jock. Elle menace Cheyenne qui n’a eu que 10 clients dans la journée alors qu’Eva en a eu 25. “Nous sommes à 7000€ de chiffre d'affaires mais Jock en veut 10 000€”. Il en faut toujours plus. Ce type d'encadrement est souvent dicté par la peur et la soumission envers ces figures de pouvoir. La prostituée plus âgée ressent une pression constante pour rendre des comptes sur les performances des autres, et parfois elle impose une discipline sévère pour éviter d'attirer l'attention ou la colère de celui-ci. Cette dynamique peut entraîner une relation de domination, où la prostituée plus ancienne devient une figure intermédiaire, contraignant les jeunes à se conformer aux exigences du proxénète, tout en étant elle-même sous son emprise.
La fin de la pièce offre une lueur d’espoir pour ces femmes : alors que Ninja est malade, elle se rend secrètement à l’hôpital, sans en avertir Jock, et découvre l’existence d’une association appelée "l’Appel". Cette organisation propose des programmes de sortie de la prostitution, offrant un accompagnement personnalisé, un revenu modeste et un toit. Touchée par cette opportunité, Ninja parvient à convaincre ses camarades de prendre contact avec l’association. Malgré leurs réticences et leurs craintes, elles hésitent, noyées dans la peur de l’inconnu et l’incertitude de l’avenir. Ce n’est qu’avec l’aide de son fils, Yann, policier, qu’elles parviennent finalement à s’échapper. Grâce à l’Appel, elles commencent peu à peu à se reconstruire. Elles témoignent : “On les hait”, “On les déteste”, exprimant leur rejet profond, en contraste avec les affirmations des “clients” prostitueurs qui, eux, soutiennent : “Elles aiment ça”.
Par ailleurs, cette lecture donne à imaginer une scénographie volontairement dépouillée, qui, par ses jeux de lumière et de sonorités urbaines, plongent le spectateur dans une atmosphère oppressante. Cette sobriété permet de concentrer toute l’attention sur la puissance des récits et l’intensité des performances.
Ainsi, Macadam est bien plus qu’une simple lecture : elle interpelle, elle dérange, elle questionne. L’œuvre dévoile les rouages d’un système qui broie les plus vulnérables, dénonçant avec force l’indifférence sociale et les mécanismes d’exploitation. Portée par la plume engagée d’Isabelle Linnartz et l’écho bouleversant des témoignages recueillis, Macadam est une œuvre essentielle pour quiconque s’intéresse aux luttes pour la dignité humaine. La compagnie des Turbulentes, actuellement en recherche de financements, souhaite trouver un théâtre pour monter la pièce. En parallèle, un court-métrage sera tourné le 15 juin autour du même sujet, prolongeant le combat artistique par l’image.
On ne peut qu’espérer voir un jour cette œuvre pleinement incarnée sur scène, afin que ces voix, trop souvent étouffées, puissent continuer à résonner et à éveiller les consciences. Car certaines histoires ne peuvent rester dans l’ombre.
Par Servane Berthelot
Communiqué de presse
A l’occasion du neuvième anniversaire de la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, l’Amicale du Nid, CAP international, la Fédération nationale des CIDFF, la Fondation Scelles, le Mouvement du Nid et des survivantes de la prostitution, réunies dans le collectif FACT-S* publient aujourd’hui un rapport d’analyse de la mise en œuvre de la loi de 2016. Saluant les apports de la loi de 2016, les associations de terrain appellent à une application intégrale et homogène de ce texte sur tout le territoire pour mieux condamner les prostitueurs, "clients" et proxénètes, et protéger les victimes.
Selon ces associations, la politique pertinente et ambitieuse engagée par la France en 2016 ne doit pas s’arrêter au milieu du gué́. Elles indiquent que des solutions existent pour permettre une sortie massive de la prostitution et proposer des alternatives dignes aux personnes qui le souhaitent. Ce rapport, issu de l'expertise de terrain d’associations au contact avec les victimes, propose des recommandations concrètes et réalisables pour mieux lutter contre le système prostitutionnel :
Les associations du collectif FACT-S soulignent qu’il est urgent d'amplifier la lutte contre le système prostitutionnel, pour que le principe républicain d’égalité́ entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences sexuelles deviennent une réalité́ concrète dans notre société.
« Je voudrais vivre dans une société où les hommes n’ont pas envie d’être ‘clients’, n’ont pas envie d’être proxénètes, où ça les répugne en fait. Je n’ai pas envie de vivre dans un monde où ce soit si simple d’être achetée, d’être exploitée. J’espère qu’on ira vers une société́, où ce sera moins facile et où les choses seront plus justes pour les victimes » - Ambre, participante de La Vie en Rouge (podcast conçu et réalisé par des femmes ayant connu la prostitution).
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