Fondation Scelles, Charpenel Y. (sous la direction de),

Prostitutions: Exploitations, Persécutions, Répressions ,

Ed. Economica, Paris, 2016.



Afrique du Sud

- Population : 53,1 millions
- PIB/hab. (en dollars) : 6 482
- Régime parlementaire
- Indice de développement humain (IDH) : 0,666 (116e rang sur 187 pays)
- Indice d'inégalité de genre (IIG) : 0,407 (83e rang sur 147 pays)

- Indice de perception de la corruption (IPC) : 44 points sur l'échelle de 0 (fort corrompu) à 100 (très peu corrompu)

- Membre de l'Union africaine depuis 1994.

- Aucune statistique nationale officielle sur la prostitution.

- L'ONG SWEAT estime qu'il y aurait 153 000 personnes prostituées en Afrique du Sud, dont 8 000 hommes. Selon des responsables associatifs, il y aurait 20 000 enfants prostitués (Molo Sangololo) ( Fondation Scelles, 2013).

- La prostitution est illégale depuis le Sexual Offences Act de 1957, ainsi que l'achat de services sexuels depuis 2007. Le proxénétisme est réprimé et la propriété d'établissements de prostitution interdite.

- La traite à des fins d'exploitation sexuelle est passible de peines d'emprisonnement jusqu'à 20 ans (Sexual Offence Act) et, de 5 ans à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque les victimes sont mineures (Children's Amendment Act).

- En 2014, seuls 3 trafiquants sexuels ont été condamnés et 19 poursuites en justice ont été entamées (contre 3 condamnations et 12 poursuites en justice en 2013). 4 personnes ayant acheté des services sexuels à une victime de traite ont été poursuivies par le gouvernement en 2014.

- Les mafias étrangères (russes, bulgares, thaïlandaises et chinoises) impliquées dans la traite sont rarement inquiétées.

- La condamnation la plus sévère de l'histoire judiciaire du pays pour traite sexuelle a été prononcée en novembre 2014 contre un homme d'affaires qui exploitait 5 mineures mozambicaines, qui a écopé de 8 fois la prison à perpétuité.

- Taux de prévalence du VIH/Sida à 60 % pour les femmes prostituées en Afrique du Sud. 350 filles et jeunes femmes seraient contaminées par jour.

- Problème sérieux de corruption.

- Persistance de la tradition « ukuthwala » dans les villages reculés, qui consiste au mariage forcé de jeunes filles parfois dès l'âge de 12 ans à des hommes adultes, les rendant vulnérables au travail forcé et à l'esclavage sexuel (U.S. Department of State, 2015).

- Plateforme de destination des victimes de la traite en Afrique australe.

- Victimes sud-africaines majoritairement, ou originaires des pays africains voisins (Nigéria, Zimbabwe et Mozambique essentiellement), d'Asie du Sud-Est (Chine, Thaïlande) et d'Europe de l'Est (Ukraine, Bulgarie, Fédération de Russie).

Illégale depuis le Sexual Offences Act de 1957 et malgré l'amendement de 2007 qui a ajouté la pénalisation de l'achat de services sexuels en 2007, la prostitution demeure très présente et relativement visible en Afrique du Sud. Dans le même temps, la classe politique ne semble guère la considérer comme un problème majeur alors que le débat a cependant gagné en intensité entre les partisans d'une décriminalisation totale, ceux qui prônent un modèle de type suédois (décriminalisation des personnes prostituées, criminalisation de l'achat de services sexuels) et ceux qui veulent maintenir une criminalisation de tous les acteurs. Si les femmes, pauvres, jeunes, noires, demeurent les premières victimes d'un système prostitutionnel qui les broie, la voix des partisans d'une reconnaissance du « travail du sexe » est celle qui se fait le plus entendre. Dans un contexte économique qui demeure difficile (le chômage est à 25 %), la prostitution, lorsqu'elle est vécue comme un moyen de survie ou, tout au moins, comme seule source de revenu immédiat pour bon nombre de femmes, continue d'entretenir les inégalités.

Le débat autour d'une éventuelle décriminalisation bat son plein ?

L'enjeu est de taille. Mais les autorités tergiversent. Depuis 2009, la South African Law Reform Commission (SALRC) travaille sur l'opportunité d'une requalification de la prostitution et des crimes sexuels via le projet 107 (South African Law Reform Commission Act , 2009). Cette étape de la réflexion tend à se prolonger malgré les déclarations d'intention savamment distillées, et parfois contradictoires, y compris au sein d'une même fraction politique. Du discours au choix affirmé d'une orientation, le pas n'a semble-t-il pas encore été franchi par les autorités. Et si les quatre options étudiées par la SALRC sont toujours sur la table (1. décriminalisation, 2. régulation et réglementation, 3. décriminalisation partielle -seul l'achat serait criminalisé-, 4. criminalisation complète), on ne compte plus les études, articles de presse, et déclarations en faveur d'une décriminalisation. Deux visions s'affrontent en Afrique du Sud sans doute plus encore qu'ailleurs. La prostitution doit-elle être considérée comme une activité professionnelle où deux parties s'accorderaient sur un contrat financier temporaire ou bien représente-t-elle une forme de domination et d'oppression qu'il faut continuer d'interdire ? La fracture est telle qu'aujourd'hui, les coalitions des différents lobbies sont devenues hermétiques à tout avis différent du leur (Emser, 2013).

Fin 2013, le Président Jacob Zuma indiquait que la décriminalisation restait une option (News24, 23 octobre 2013) possible dans les réflexions de la Commission. Dès lors, on pouvait croire à des prises de décision rapides allant dans ce sens. Mais ce choix fort continue de provoquer des remous et de durcir les antagonismes entre ses partisans et les lobbies qui y sont opposés.

Dernièrement, la Commission pour l'Egalité de Genres s'est clairement exprimée en ce sens. Pour elle, le régime juridique actuel est globalement inefficace. En s'appuyant sur les retours d'expériences d'Australie et de Nouvelle-Zélande qu'elle estime positifs, la Commission recommande, la « décriminalisation du travail du sexe » ( Commission for Gender Equality – 2013). Faire de la prostitution un délit revient à « violer le droit au libre choix du travail », ce qui est contraire à la Constitution. En décriminalisant, la Commission indique que les personnes en situation de prostitution pourraient se regrouper et se défendre en syndicats, que la stigmatisation diminuerait, que l'accès au système de santé et la lutte contre la propagation du VIH/Sida seraient facilités. Elle affirme en outre que les personnes prostituées pourraient plus facilement solliciter la justice lorsqu'elles sont victimes de violences, et signifierait la fin des arrestations et détentions arbitraires, puisqu'elles ne seraient plus ciblées spécifiquement par la police.

L'argument de l'inconstitutionnalité du Sexual Offences Act actuel est aussi avancé par certains chercheurs ( International Journal of Humanities and Social Science, janvier 2013). Si la Constitution sud-africaine garantit à chacun le droit d'exercer le travail de son choix dans des « conditions satisfaisantes », alors ce texte, qui réprime la pratique de l'activité prostitutionnelle est incompatible avec la Constitution. Ce qui laisse tout de même la place à d'autres interprétations pour peu que l'on s'accorde sur le sens des « conditions satisfaisantes ».

Pour les partisans de la décriminalisation commeSex Workers Education and Advocacy Taskforce (SWEAT) et Sisonke National Sex Workers Movement (Sisonke), le système législatif actuel rend les personnes en situation de prostitution plus vulnérables à la stigmatisation et aux violences. Entre juillet et octobre 2014, 8 d'entre elles l'ont payé de leur vie (The Messenger News, 22 octobre 2014). Pour Maria Stacey de SWEAT, les violences subies viennent autant des clients que de la police. Une récente étude du Women's Legal Center montrait que près de 70 % des personnes prostituées interrogées ont subi au moins une expérience de violence ou d'abus sexuels de la part de policiers (Manoek, août 2012). Les cas d'abus de la part des clients ne sont eux que très rarement signalés à la police puisque l'activité est illégale. L'argument mis en avant par les structures « pro-sex work » est aussi celui de l'impossibilité à défendre ses droits dans un système législatif qui les rend hors-la-loi.

Un autre écho favorable à la décriminalisation est venu du South African National Aids Council (SANAC), entité chargée de lutter contre la propagation du VIH/Sida et qui a mis en place un plan national de prévention, de soin et de traitement pour les personnes prostituées. Pour le SANAC, la stigmatisation et la criminalisation mettent des barrières quasi-insurmontables à l'accès aux dispositifs du système de santé pour cette population. Les dernières estimations faisaient état d'un taux de prévalence du VIH/Sida à 60 % pour les femmes qui se prostituent en Afrique du Sud (The Lancet, juillet 2012). S'appuyant sur une série de recommandations d'organisations à vocation internationale ( ONUSida, OMS), et de travaux de recherches, le SANAC appelle à la décriminalisation de la prostitution, forme juridique la plus à même de ralentir la propagation de l'épidémie (The Lancet, 8 octobre 2005). En juin 2015, le Président-Député Cyril Ramaphosa reconnaissait que la forte stigmatisation dont étaient victimes les personnes engagées dans la prostitution contribuait à accentuer la propagation du VIH/Sida. L'ambassadeur des Etats-Unis rappelait, quant à lui, qu'environ 350 filles et jeunes femmes étaient contaminées chaque jour (Sowetan Live, 11 juin 2015).

Tous les politiques n'ont pas la même vision de la décriminalisation. La plupart évitent d'ailleurs de se prononcer de manière définitive sans doute pour ménager l'ensemble des positions. Lorsqu'un journal Sowetan titrait en janvier 2014 « Le député ministre John Jeffery parle d'une possible décriminalisation du travail du sexe », le gouvernement sud-africain publiait aussitôt un démenti rappelant qu'à aucun moment il n'a été fait une déclaration formelle en faveur d'une éventuelle décriminalisation ( South African Governement, Media Statements, 13 janvier 2015). Il s'agit pour les autorités de ne pas interférer dans le processus de réflexion de la Law Reform Commission mais de rappeler qu'à ce jour, la vente ou l'achat de « services sexuels » constituent toujours une infraction. Pour Nosipho Vidima, de Sisonke, « quelquefois, quand nous allons au Parlement pour faire valoir notre point de vue sur la décriminalisation, nous reconnaissons certains députés qui sont des clients » (News24, 17 janvier 2014).

D'une manière générale, les groupes militant pour la décriminalisation du « travail du sexe » se sont largement mobilisés et organisés. Le Decriminalising Working Group (DWG) réclame une modification de la législation vers une décriminalisation des personnes prostituées, du racolage et des propriétaires-managers d'établissements de prostitution. Il regroupe un peu plus d'une douzaine de structures [1] et refuse systématiquement l'emploi du mot « prostitution », le trouvant trop négatif.

Toutes les organisations ne partagent pas le même point de vue. Si les abolitionnistes militent également pour la décriminalisation des personnes prostituées, il n'est pas question de laisser dans l'impunité les acheteurs et les proxénètes. Embrace Dignity, une association militant pour faire adopter l'équivalent du modèle suédois a demandé en décembre 2014 au Parlement, la mise en place d'un comité transpartisan qui serait chargé de faire un état des lieux de la prostitution.

Les mouvements d'obédience catholique, comme la Christian Lawyers Association, vont encore plus loin et militent plutôt pour une criminalisation totale de l'industrie du sexe : pénalisation de l'achat, de la vente et de tout acte lié à la prostitution. Une approche relativement similaire à la législation actuelle.

Modifications législatives

En attendant une éventuelle modification de la législation relative à la prostitution, le Président Jacob Zuma a signé en juillet 2013 le Prevention and Combating of Trafficking in Persons Act. Le texte prévoit notamment de se mettre en conformité avec les engagements internationaux concernant la lutte contre la traite des êtres humains. Il fournit également aux forces de l'ordre un outil global et spécifique avec des peines allant jusqu'à l'emprisonnement à vie et 100 millions de rands (5,8 millions €/6,3 millions US$) d'amende. Toutefois, cette loi entrera en vigueur une fois que tous les règlements nécessaires à sa mise en œuvre seront en place. Son application reste donc encore incertaine.


Confirmations

Le paysage par nationalités de la prostitution s'est confirmé depuis la précédente édition du rapport mondial de la Fondation Scelles ( Fondation Scelles, 2013). Les groupes criminels se partagent les villes (et les quartiers) ainsi que les victimes de même origine géographique nationale ou régionale.

Les Nigérians (très présents à Hillbrow) apparaissent comme le groupe de trafiquants le plus puissant, opérant en bandes organisées et contrôlant principalement la prostitution des jeunes Africaines et des enfants. Les Russes et les Bulgares tiennent une partie de la ville du Cap et plusieurs villes du sud. Les Chinois et les Thaïlandais organisent la prostitution asiatique. Les femmes noires, sud-africaines, restent largement majoritaires mais le spectre des nationalités concernées demeure très large.

On retrouve de nombreuses nationalités africaines (Lesotho, Swaziland, Zimbabwe, République démocratique du Congo, Mozambique), asiatiques (principalement Chine, Thaïlande, Taïwan, Cambodge, Inde) et est-européennes (Fédération de Russie, Moldavie, Ukraine, Bulgarie, Roumanie, Hongrie).

Les réseaux du crime organisé sont bien présents pour contrôler la prostitution et leurs tailles sont multiples. Si des gangs internationaux opèrent dans certaines villes, les communautés, familles ou proches des victimes sont aussi très présents dans l'exploitation de la prostitution. Ils sont largement masculins, même si plusieurs affaires montrent l'implication de femmes, notamment dans le recrutement des victimes.

Une opération policière en décembre 2014 dans une propriété du nord de Durban a révélé un réseau de prostitution thaïlandais déguisé en « bed and breakfast ». Le propriétaire, un homme de 62 ans et sa femme, une Thaïlandaise chargée du recrutement, avaient mis en place ce réseau depuis deux ans et fait venir une centaine de femmes de Thaïlande sous couvert de visas touristiques (IOL.co.za, 9 novembre 2014). Le couple retenait les jeunes femmes par le biais d'une dette qu'elles avaient à rembourser et la confiscation de leurs passeports dès leur arrivée. Si les voisins connaissaient depuis longtemps l'existence de cet établissement, on peut s'étonner du temps que les forces de police ont mis pour intervenir… Faute de preuves, le couple que la police soupçonnait de diriger l'affaire n'a, semble-t-il, pas été formellement inquiété. Ils ont été « invités » à quitter le pays (IOL.co.za, 23 décembre 2014).

La drogue peut également être utilisée pour maintenir les jeunes femmes, parfois très jeunes, en état de dépendance (IOL.co.za, 7 août 2014). Dans les « maisons de prostitution », il n'est pas rare que les propriétaires pratiquent une certaine mixité dans les nationalités des personnes prostituées (News24, 16 septembre 2014). Des centaines d'Asiatiques seraient exploitées chaque année, opérant majoritairement dans les faubourgs de Durban, la plupart chinoises et thaïlandaises via des sites d'escorting.

En 2014, 180 Thaïlandaises ont ainsi été identifiées comme victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle et remises à leur ambassade avant d'être rapatriées. Pour la police de Durban, il ne fait aucun doute que cette traite est organisée et contrôlée par les syndicats du crime chinois ou thaïlandais. La plupart des victimes sont trompées sur l'objet réel de leur destination par de fausses promesses d'emploi dans des restaurants ( IOL.co.za, 29 août 2014).

Le témoignage de deux Est-européennes vient nous rappeler que plusieurs strip-clubs du Cap ont été identifiés comme ayant des liens avec la mafia : les gérants confisquent les passeports et utilisent la contrainte de la dette à rembourser (voyage, loyer). La frontière entre ce type d'établissement et la prostitution semble bien mince. Malgré tout, les jeunes femmes interrogées affirment préférer leur situation à ce qu'elles ont quitté. « Nous allons là où il y a de l'argent. Mais pour réussir à faire ça, vous devez casser quelque chose à l'intérieur de vous » (The Moscow Times, 28 août 2014).

Il reste difficile de connaître l'ampleur exacte de cette traite. Si la presse avance le chiffre de 100 000 victimes annuelles, tous types de traite confondus (Eyewitness News, 11 novembre 2014) et 30 000 mineurs (Times Live, 16 juillet 2015), ces estimations sont régulièrement remises en cause. D'ailleurs, la prostitution, bien qu'illégale, reste d'une manière générale, considérée comme un crime « mineur » et même la police ne semble pas avoir de données précises à fournir. Rappelons qu'en 2013, 10 096 victimes de traite avaient été identifiées sur l'ensemble du continent africain ( U.S. Department of State, 2015).

En Afrique du Sud, seuls 3 trafiquants sexuels ont été condamnés et 19 autres poursuivis en 2013 selon le rapport 2015 du Département d'Etat américain sur la traite des êtres humains. Des chiffres à mettre en perspective avec les estimations de SWEAT qui parle de 153 000 « sex workers ». Peu de réseaux et de trafiquants en Afrique du Sud donc… On a du mal à y croire…

Si les organisations publiques, privées, étatiques avancent des chiffres différents, toutes s'accordent sur le fait que le phénomène reste conséquent. Tout ne serait-il qu'une question de point de vue ? Evidemment non. Les faits sont présents et les histoires bien réelles. Les témoignages et récits de contrainte et d'exploitation ne laissent pas de place au doute. Comment oublier le parcours de cette femme du quartier d'Atlantis (Le Cap) contrainte à la prostitution après avoir répondu à une fausse annonce de deux frères congolais. Violée et droguée par cinq hommes, régulièrement battue, menacée, exploitée sur le trottoir et dans des établissements de prostitution avant d'être plusieurs fois revendue, elle avait finalement été sauvée par sa famille. Quand ils l'ont retrouvée, « elle ne pouvait même plus marcher » (IOL.co.za, 20 mars 2014) … Un choix de vie, vraiment ?

La prostitution vue comme un travail ou une exploitation…

Le parcours de vie d'Asanda, prostituée à 17 ans après avoir été exclue de la cellule familiale et trompée par une fausse offre d'emploi ( Good, 6 octobre 2014). Analysée sous le prisme de deux associations au point de vue diamétralement opposé (SWEAT – pro-« sex work », Embrace Dignity – abolitionniste), la prostitution y est perçue comme une profession pour l'une et une oppression pour l'autre. Pourtant, quand on y regarde d'un peu plus près… Violée par son oncle quand elle était enfant, jusqu'à 20 clients par jour… Asanda déclare avoir voulu arrêter dès la première fois. « Je buvais constamment. C'était la seule façon de passer à travers ça ». On peut choisir quand on a d'autres choix. Asanda, visiblement n'en avait pas d'autres. Le destin a mis sur sa route deux structures. SWEAT d'abord qui l'a aidée puis Embrace Dignity qui lui a permis de se reconstruire depuis trois ans. Pour Madlala-Routlegde d' Embrace Dignity, « L'inégalité réduit les choix des femmes et la prostitution ne fait que perpétuer cette inégalité » (Good, 6 octobre 2014).


Une « Zim-prostitution » en hausse et mobile

Si les femmes originaires du Zimbabwe semblent toujours plus nombreuses au coin des rues ou dans les maisons de prostitution des zones urbaines ( iHarare, 1er juin 2014), une prostitution itinérante liée aux chauffeurs routiers longue distance a pris de l'ampleur au cours de l'année écoulée. Les villes frontalières, les parkings des autoroutes et les échangeurs sont devenus des lieux très fréquentés par cette communauté. Une prostitution qui est devenue très mobile. Les conducteurs clients embarquent les jeunes femmes parfois sur toute la durée de leur parcours. La police sud-africaine a également mentionné l'existence de réseaux de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle impliquant des chauffeurs routiers (iHarare, 14 juillet 2015). Les risques d'exposition au VIH/Sida restent très importants et plusieurs cas de chauffeurs atteints du virus ont été signalés. Si certaines passes se négocient à 1 US$ (0,92 €), les jeunes Zimbabwéennes des night-clubs d'Hillbrow peuvent amasser 250 US$ (230 €) par mois ( My Zimbabwe News, 9 juillet 2014). Mais dans quelles conditions ? La diaspora zimbabwéenne présente en Afrique du Sud est estimée à 3 millions de personnes dont les trois-quarts seraient en situation irrégulière. D'après Save The Children Zimbabwe, sur les 2 000 migrants illégaux rapatriés chaque semaine, 20 % seraient des mineurs non accompagnés (The Guardian, 13 juillet 2014).

Une prostitution masculine en hausse

SWEAT estime à 8 000 le nombre de personnes prostituées de sexe masculin dont la majorité viendrait d'autres pays africains. Evoluant dans un marché du travail exsangue et la plupart du temps dans des situations économiques extrêmement précaires, ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la prostitution. Essentiellement sollicités par une clientèle plus aisée, plutôt urbaine, plutôt féminine (mais pas seulement) et sud-africaine, ils utilisent de plus en plus souvent internet via des sites d'escorting ou de rencontres.

Abus et violences

D'une manière générale, toutes les organisations s'accordent sur le nombre incalculable de violences subies par les personnes prostituées, de la part des clients mais aussi de la part des forces de l'ordre profitant du fait que la prostitution est illégale. Violences physiques : agressions, coups, viols, meurtres et tentatives de meurtres. Violences psychologiques directes ou indirectes (sur l'entourage, la famille) : chantage, insultes… Par ailleurs, la pression des clients pour avoir des relations sans préservatifs reste très forte. Maria Stacey de SWEAT confirme que cette violence provient autant de la police (insultes, stigmatisation, spray au poivre, balles en caoutchouc) que des clients (très fréquent que des clients jettent la personne prostituée hors de leur voiture après une passe, sans payer). En 2013, lors de l' International Sex Workers' Day, 80 personnes prostituées ont manifesté contre les violences policières à Johannesburg : « Votre police utilise les règlements municipaux pour nous arrêter, et puis ils nous refusent l'accès aux médicaments. Votre police exige de l'argent pour ne pas nous arrêter » (IOL.co.za, 8 mars 2013).

La difficile cohabitation avec les résidents

La tension est encore montée d'un cran entre une partie des résidents de Glenwood (quartier de Durban) et les personnes prostituées se rejetant mutuellement la responsabilité des troubles. Des bénévoles du Bulwer Community Forum ont organisé une marche pour protester contre la prostitution trop présente et trop visible dans leur quartier et ont indiqué avoir été menacés. Plusieurs personnes prostituées se sont plaintes, en retour, auprès d'organisations d'avoir été injuriées et harcelées par les résidents. Ces tensions, loin d'être anecdotiques, montrent bien la difficulté d'inscription de la prostitution visible dans un espace résidentiel. Pour certains membres de la communauté qui ont été interviewés, il y aurait un réseau qui menace avec un chef de réseau qui veut faire la loi dans le quartier. Ils dénoncent l'arrogance de «criminels qui se comportent comme s'ils possédaient l'endroit » ( IOL.co.za, 24 mars 2014). Certains habitants affirment se sentir concernés par les droits et revendications des personnes prostituées, mais personne ne veut d'un « red light district » à côté de chez soi.

Dispositifs d'aide

Le Département du Développement Social mentionne l'accueil de 41 victimes de traite (toutes formes de traite confondues) dans ses dispositifs d'aide et d'hébergement (U.S. Department of State, 2015). Mais d'une manière générale, c'est d'abord le système associatif qui semble prendre la plus grande part du travail. SWEAT participe largement au programme de prévention national de lutte contre le VIH/Sida et a mis en place le programme dans 74 sites dans toute l'Afrique du Sud. L'organisation a également ouvert une hotline pour conseiller les personnes prostituées avec plus de 300 appels chaque mois. Embrace Dignity a mis en place un programme de sortie pour les survivant(e)s de la traite sexuelle et de la prostitution. Elle fournit soutien psychologique, assistance globale, formation et apprentissage de compétences professionnelles aux personnes souhaitant quitter la prostitution par le biais de deux programmes : « Let us rise » et « Sisters ». En juin dernier, l'association a mis en place l'initiative « Dignity Marketplace » qui permet de vendre des produits fabriqués par les survivant(e)s et dont les bénéfices permettent exclusivement de soutenir ces initiatives en revenant à ces mêmes survivant(e)s.

Sources

- « ANC should stand up for prostitutes – Sisonke », News24, 17 janvier 2014.

- « Decriminalisation of prostitution remains on agenda », News24, 23 octobre 2013.

- « Deputy Minister John Jeffery on possible decriminalization of sex work », South African Governement, Media Statements, 13 janvier 2015.

- « Prostitution has kept the City of Gold on its knee since 1800 », News24, 16 septembre 2014.

- « Sex industry new target », Sowetan Live, 11 juin 2015.

- « Zim women now prostitutes and stippers in South Africa », My Zimbabwe News, 9 juillet 2014.

- Baral S. (Dr) MD, Beyrer C., Muessig K. (Prof.) MD et al., « Burden of HIV among female sex workers in low-income and middle-income countries: a systematic review and meta-analysis », The Lancet Infectious Diseases, Vol. 12, n°7, juillet 2012.

- Blyth K., « Russian Women Seek Riches Stripping in South Africa », The Moscow Times, 28 août 2014.

- Campbell-Gillies V., « Human trafficking in the spotlight », Eyewitness News, 11 novembre 2014.

- Comins L., « Glenwood prostitutes abus volunteers », IOL.co.za, 24 mars 2014.

- Commission for Gender Equality, Decriminalising sex work in South Africa: Official position of the Commission for Gender Equality , 2013.

- CRIDES/Fondation Scelles, Revue de l'actualité internationale de la prostitution, 2013.

- CRIDES/Fondation Scelles,Revue de l'actualité internationale de la prostitution, 2014.

- Dzimwasha Taku, « Zimbabweans migrating to South Africa at risk of abuse and exploitation », The Guardian, 13 juillet 2014.

- Emser M., The politics of human trafficking in South Africa : A case study of the KwaZulu-Natal intersectoral task team and south african counter-trafficking governance , Thesis, Doctor of Philosophy in Political Science, University of KwaZulu-Natal, février 2013.

- Fondation Scelles, Charpenel Y. (sous la direction), Exploitation sexuelle - Une menace qui s'étend, Ed. Economica, Paris, 2013.

- Goodyear M, Lowman J, Fischer B, Green M. « Prostitutes are people too », The Lancet, Vol. 366, n°9493, 8 octobre 2005.

- Harrington J., Prostitution should remain illegal in South Africa, Christian Lawyers Association, 23 février 2010.

- Juslogon, « The criminalisation of sex work kills », The Messenger News.co.za, 22 octobre 2014.

- Manoek S.-L., Stop harassing us ! Tackle real crime ! » - A report on human rights violations by police against sex workers in South Africa , Women's Legal Centre (WLC), Sisonke, Sex Workers Education and Advocacy Taskforce (SWEAT), août 2012.

- Mposo N., « Jobseeker lured to prostitution », IOL.co.za, 20 mars 2014.

- Nyathi-Mokoena UCA, Choma HJ, « Prostitution under the Sexual Offences Act in South Africa: A Constitutionnal Test », International Journal of Humanities and Social Science, Vol. 3, n°1, janvier 2013.

- Olifant K., « Prostitutes protest against cop brutality », IOL.co.za, 8 mars 2013.

- OMS, ONUSida, UNICEF, Vers un accès universel: Etendre les interventions prioritaires liées au VIH/Sida dans le secteur de la santé – Rapport de situation 2009 , 2009.

- Padayachee K., « Women guilty of running brothel », IOL.co.za, 23 décembre 2014.

- Rondganger L., « Asian women lured to SA for sex work », IOL.co.za, 29 août 2014.

- Sapa, « Brothel witness agreed to prostitution », IOL.co.za, 7 août 2014.

- Shaik N., Farley K., « Police swoop on Durban North brothel » - IOL.co.za, 9 novembre 2014.

- South African Law Reform Commission Act, Discussion Paper 0001/2009 Project 107 « Sexual Offences Adult Prostitution », ISBN : 978-0-621-38498-7, 2009.

- Spinks R., « One former prostitute in Cape Town, two NGOs battling over how to help her », Good, 6 octobre 2014.

- U.S. Department of State, Trafficking in Persons Report, juillet 2015.

- Watt (Van der) M., « Human trafficking in South Africa: an elusive statistical nightmare », Times Live, 16 juillet 2015.

- Zimbabwean Z., « Hard times forces sex workers into mobile prostitution », iHarare, 14 juillet 2015.

- Zimbabwean Z., « Zim Women resorting to prostitution in South Africa », iHarare, 1er juin 2014.



[1] Composition du DWG : AIDS Legal Network, Sex Worker Education and Advocacy Taskforce (SWEAT) , Women's Legal Centre, African Sex Worker Alliance, Sisonke Sex Workers Movement, World AIDS Campaign, SANAC Women's Sector, Thohoyandou Victim Empowerment Programme, Tshwaranang Legal Advocacy Centre and AIDS and Rights Alliance of Southern Africa, Gender DynamiX, ARASA, Triangle Project, Legal Resources Centre .